Par delà
les horizons
Toujours plus loin dans l’aventure
« Ils ont entrepris la longue conquête de la Terre.
Peu nombreux, mais téméraires, les premiers colons partent à
l’aventure, encore soumis pour des millénaires aux caprices de la
nature…Tant bien que mal, nos ancêtres s’installent sur leurs terres
conquises. Alors, lentement, les groupes se distinguent, les peuples se
diversifient, les langues se singularisent. La grande diversité humaine
s’épanouit.» Dominique Simonnet - La plus belle
histoire de l’homme
L’homme tend à s’orienter naturellement vers l’ouest, vers le futur et
le renouveau. Cet instinct lui vient probablement des anciens qui
suivaient la course du soleil pendant les migrations. Un
« réflexe » que nous avons encore lors des longues
traversées, terrestres ou maritimes. En revanche, cheminer vers l’est,
vers la naissance du soleil, c’est aller à la rencontre de ses origines
et de son passé. Les aventuriers combatifs aiment se confronter à la
puissance du septentrion et sont irrésistiblement attirés par le nord,
par le froid. Quand on marche vers le pôle, on se bat contre les
éléments mais surtout contre soi tandis que la chaleur et la végétation
luxuriante du sud symbolisent l’apaisement et la retraite.
Il est fort probable que nos ancêtres connaissaient déjà les multiples
visages de notre planète comme les banquises, la forêt, les
déserts et les hautes montagnes, la steppe et les littoraux… Les hommes
se sont toujours adaptés aux milieux qu’ils colonisaient. Ils ont fait
preuve d’audace, d’ingéniosité et de persévérance et ont vécu mille
exploits que nous ignorons.
L’homme d’aventure a toujours incarné la liberté. Liberté de penser, de
croire, d’agir. Il explore aussi bien l’espace géographique que les
méandres de l’esprit. Porté par la démesure de son inspiration et le
pragmatisme de l’homme d’action, il entraîne ses rêves dans une
direction que les autres redoutent et ose développer des idées
originales qui peuvent importuner l’ordinaire.
Si l’aventure peut être une profession, elle est aussi un art de vivre
et une création en elle-même. En parlant de l’esprit d’aventure,
Patrice Franceschi, (ex président de la société des explorateurs
français) écrit : « la fusion de la pensée et de
l’action engendrant la création, action toujours adéquate à la pensée,
et pensée conduisant toujours à l’action ».
L’action qui se déroule dans l’espace se superpose souvent à un voyage
intérieur, une sorte de quête initiatique qui ne s’arrête jamais. Les
récits d’aventures, empreints de symbolisme et de romantisme, font
voyager le public d’un monde à l’autre, passant d’un univers réel à
l’imaginaire. Joseph Conrad écrivait : « une tâche,
n’importe quelle tâche, entreprise dans un esprit d’aventure, acquiert
le charme du roman ».
Aller plus loin dans l’aventure, c’est franchir des étapes, partager le
rêve et imaginer le monde.
Conquérir et
imaginer le monde
A partir d’Eléphantine, en remontant, on trouve un pays
escarpé ; pour avancer, il faut attacher le bateau des deux
côtés, comme un bœuf ; s’il échappe à ses liens, il est
emporté par la violence du courant (…) à cette île fait suite un vaste
lac, autour duquel circulent des éthiopiens nomades ; après
l’avoir traversé, vous rejoindrez le cours du Nil, qui se jette dans ce
lac. Vous quitterez ensuite votre bateau et cheminerez le long du
fleuve pendant quarante jours... Hérodote
Un homme rassemble le plus fort, le plus audacieux et le plus sage des
siens pour aller découvrir ce qu’il y a derrière l’horizon ... Le
gibier s’enfuit, la famine sévit. Alors, peut être qu’au-delà du
croisement des rivières vertes et bleues, derrière la grande colline,
peut-être y a-t-il plus de bêtes à tuer et pourquoi pas une caverne qui
pourrait héberger le clan durant la saison froide ? Pour relater son
épopée, l’explorateur indique des directions, esquisse son itinéraire
sur la terre sèche… Il a tout mémorisé, le nombre de lunes rondes, les
jours où il était nu et ceux où ses mâchoires se
raidissaient : entre 100 000 et 8000 ans avant notre ère…
2200 ans av. J.C. Le prince Hirkouf d’Eléphantine explore la basse
Nubie dans le but d’ouvrir des voies commerciales. Des siècles durant,
des négociants, marins et caravaniers, sillonnent les côtes
Méditerranéennes, à terre comme sur mer. 600 ans av. J.C., ce
sont les navigateurs phéniciens qui à leur tour explorent les rivages
africains. Un siècle et demi plus tard, Hérodote décrit le monde avec
beaucoup de précision. Vers 330 avant J.C., Alexandre le Grand part à
la conquête de la Perse pendant que Pythéas de Marseille s’élance vers
les mers septentrionales.
A partir de l’an 1000, les Vikings mettent cap à l’ouest et découvrent
l’Islande, le Groenland et l’Amérique du Nord. Trois siècles plus tard,
le commerçant vénitien Marco Polo se dirige dans la direction opposée
et parcourt toute la Chine et l’Extrême-Orient.
Autour du 15ème siècle, les navigateurs transocéaniques et les
conquistadors en quête de richesses et de nouveaux mondes, partent avec
un objectif précis, même s’ils n’arrivent pas à l’endroit espéré, comme
en témoigne la traversée de Colomb. Ils ouvrent de vraies
routes, avec un point de départ, un tracé et un point
d’arrivée. Tandis que Cortès envahit le Mexique, Magellan se fraie un
passage vers le Pacifique à travers la Terre de Feu, Cartier explore le
golfe du St-Laurent et Pizarro renverse l’empire inca.
Du 18éme siècle au début du 20ème siècle, l’exploration scientifique
prend naissance dans le substrat des grandes découvertes. Le capitaine
Cook et Bougainville marquent cette faste période sur les océans du
globe. A terre, le docteur Livingstone traverse l’Afrique d’ouest en
est, Alexandra David-Néel pénètre la cité interdite de Lhassa pendant
que Nansen perce les mystères de la dérive arctique et que son
compatriote Amundsen ouvre le célèbre passage du Nord-Ouest.
Territoires
inaccessibles
« Je rentre avec trente caisses et des trésors
botaniques, astronomiques et géologiques. Il me faudra bien des années
pour rédiger mon œuvre… Dieu que mon cœur était lourd, lorsque je
quittai les beautés de ce monde indien ! » A
Meyer-Abich, Alexander von Humbolt
Durant le 20ème siècle, des expéditions scientifiques sillonnent la
planète en tous sens. Savants, explorateurs et naturalistes collectent
et classifient l’information dans de nombreux domaines :
topographie, géologie, botanique, zoologie, ethnologie … Ils
inventorient et ordonnent le monde.
Les « contours » de notre planète sont définis. Les
explorateurs vont maintenant percer les secrets des terres les moins
accessibles en remontant, ou en descendant, les voies de pénétration
naturelles que sont les fleuves et les rivières avant de se mesurer aux
territoires les plus hostiles et les plus reculés : régions polaires,
déserts, hautes montagnes et forêts denses, mers et océans.
L'évolution technologique, conjuguée à l’audace, propulse les hommes
dans l’espace et dans les profondeurs abyssales, tandis que d'autres
s’acharnent à gravir les plus hauts sommets de la Terre ou à marcher
vers les pôles.
Rêver, croire et penser
« L’esprit d’aventure tient en quatre vertus – (…)
le désir de découverte, la capacité au risque, le besoin de liberté et
enfin l’aptitude au non-conformisme compris comme potentialité de
remise en cause de l’ordre du monde. Toutes les autres qualités qui, a
priori, semblent relever de l’esprit d’aventure, telles le courage, la
curiosité, la force de caractère ou encore le goût de l’effort, sont en
réalité les moyens de mise en œuvre de ces quatre vertus. »
Patrice Franceschi, ex Président de la Société des Explorateurs français
L’aventurier est avant tout un créatif, une sorte d’artiste sage et fou
qui œuvre sur lui-même comme un sculpteur le ferait sur un roc. S’il
doit avoir « la tête dans les nuages » pour faire
germer le rêve, il doit aussi faire preuve d’un grand réalisme pour
mener à bien son projet.
Robert Peary, qui aurait atteint le Pôle Nord en 1909, écrit :
« Le véritable explorateur n’agit pas dans l’espoir d’une
quelconque récompense ou d’un quelconque honneur, mais parce qu’il
s’est mis en devoir de faire quelque chose pour obéir à une pulsion
toute intérieure, et qu’il doit l’accomplir pour l’amour de
l’accomplissement. »
Même si le but d’une expédition est clairement énoncé et légitimé, il
faut aussi convenir que le chercheur d’aventure est quelquefois motivé
par une fuite en avant équivoque d’une société désavouée, d’un monde
trop « petit » ou trop « connu »,
d’un besoin de s’extraire de l’anonymat, de s’isoler aussi.
L’aventurier va jusqu’au bout de lui-même, flirtant de temps à autre
avec la déraison. Le temps du voyage, il se sacrifie. Les conditions de
vie sont pénibles et les risques encourus, même calculés, souvent
dépassent l’entendement. Les voyages lents et géographiquement engagés,
sur de nombreux aspects, se rapprochent du pèlerinage ou de l’ascèse.
Dans les situations critiques, il n’est pas rare qu’une présence
« divine » se manifeste, offrant à l’infortuné la
force de survivre. Ernest Shackleton décrit ce sentiment lorsqu’il
traverse la Géorgie du Sud dans les pires conditions en 1916 :
« Pendant cette marche longue et torturante de trente-six heures parmi
les montagnes et les glaciers inconnus, il me semblait souvent que nous
étions quatre et non pas trois ».
L’aventure
intérieure
« La nature est le seul élément qui rappelle l’homme
à l’humilité et ne distingue ni ses fonctions ni ses richesses. La
nature met tout le monde au même niveau. La véritable richesse ne se
mesure pas à ce que vous avez mais à ce dont vous pouvez vous passer
pour vivre. La véritable richesse ne peut s’acheter et rien ne peut
vous l’enlever. La véritable richesse est ce que vous avez expérimenté
en vous, ce qu’aucun argent ne peut acheter. L’aventure incarne toutes
ces valeurs. » Mike Horn
Lorsque l’on explore les territoires sauvages, on prend conscience de
la fragilité de la vie et de la complexité du lien qui nous unit au
reste du monde. La plupart des aventuriers vouent un culte quasi
religieux à la nature originelle. Elle est le théâtre de leurs rêves,
elle est leur muse, mais aussi la cause de leurs souffrances et parfois
de leur mort.
S’immerger dans la nature sauvage, quitter la civilisation et le
confort pour affronter la rudesse des éléments naturels obligent
l’individu, s’il veut survivre, à vivre encore plus intensément, à
explorer les intimes retranchements de son être pour trouver les clés
et la force qui lui permettront de franchir l’obstacle, d’outrepasser
son marasme et de reprendre sa juste place. Dans de telles conditions,
l’homme ne triche pas et son salut tient à sa sincérité.
François Terrasson écrit : « qu’il y ait ou non en
plus l’effet hypnotique du désert plat, l’homme sans les repères de la
société n’est plus le même. La nature extrême lui fait perdre
les références qui toute sa vie l’ont aidé à penser… Et la pensée sans
repère glisse tout doucement vers ces zones de l’esprit réservées aux
périodes d’obscurité. Ces plans lointains du psychisme qui
s’épanouissent dans le rêve, c’est l’inconscient. »
L’aventure,
vecteur de découverte et de connaissance
« La caméra est vigilante, attentive, disciplinée,
fidèle – mais elle reste une caméra : un œil supplémentaire
branché sur un mécanisme compliqué. Que de scènes drôles, anodines ou
tragiques lui échappent par définition ! C’est ce qui fait
parfois de nous, reporters de télé, chasseurs de documents, des
narrateurs au coin du feu, comme avant la découverte de
l’imprimerie. »
Christian Brincourt, La face cachée de l’aventure
Si les aventuriers ne sont pas tous motivés par la pure découverte
géographique, les explorateurs, en revanche, ont un goût immodéré pour
l’aventure ! Professionnels ou pas, ces personnages ont en
commun la faculté de faire rêver et d’enseigner le fruit de leur vécu.
Le public découvre des régions méconnues, des paysages fantastiques et
des peuples d’un autre âge. Le regard de l’explorateur complète le
manuel scolaire et celui de l’aventurier stimule l’imaginaire.
L’explorateur moderne s’apparente parfois à un reporter de l’extrême,
ce qui le rapproche incontestablement de ses prédécesseurs. Sa
curiosité, sa pugnacité et son esprit d’aventure le conduisent à
chercher et à collecter l’information, à découvrir des indices de vie
insoupçonnés jusqu’alors dans les régions les plus reculées, à
s’éprouver dans les pires conditions climatiques et d’efforts.
Sans les porteurs de rêves, l’homme s’ennuierait et s’éloignerait de
toute forme de culture, un « inutile indispensable »
qui permet à chacun d’affiner sa conception de la vie et de nourrir sa
réflexion.
Quel avenir pour
l’aventure et l’exploration
« Le défi lancé par les grands espaces de l’univers
est un défi prodigieux, mais en ne le relevant pas nous mettrions un
point final à l’histoire de notre espèce. L’humanité, si elle tourne le
dos à ces lointains inexplorés, glissera en sens inverse, sur la longue
pente qui s’étend, sur des milliers d’années, jusqu’aux rivages de la
mer originelle. » Arthur C. Clarke, Le vol interplanétaire
L’explorateur n’est plus tenu de conquérir de nouveaux territoires et
d’ériger ses couleurs. Il est un collecteur averti d’informations, un
médiateur d’espoir et de respect envers le monde auquel nous
appartenons.
Les épopées des conquistadors et autres aventuriers avides de fortune
et de gloire reflètent les deux visages de la nature humaine. D’un côté
le courage, la persévérance et l’ingéniosité, de l’autre l’orgueil,
l’arrogance et la cruauté.
Les prestigieux représentants de notre époque, comme le commandant
Cousteau ou le vulcanologue Haroun Tazzieff, ont attendu la fin du
20ème siècle pour s’en aller vers un monde inconnu. Ces aventuriers de
métier, aux objectifs plus louables que leurs prédécesseurs, nous ont
légué le plus beau des héritages : l’esprit d’aventure et
l’amour de la Terre.
L’exploration continue de progresser et l’esprit qui l’anime fait
encore des émules. Mais l’aventure moderne a aussi ses revers. Les
entreprises aventureuses sont souvent onéreuses, difficilement
rentables, et le public ne comprend pas toujours le but d’une telle
démarche qu’il faut parfois justifier !
L’explorateur polaire Jean-Louis Etienne s’engage pour la planète,
Bertrand Piccard repousse toujours plus loin les défis de
l’aéronautique, l’intrépide Mike Horn nous fascine par ses exploits,
l’ethnologue brésilien Sidney Consuelo dénombre les dernière tribus
primitives de la forêt amazonienne, tandis que la nouvelle conquête
spatiale, aux enjeux scientifiques et politiques majeurs, suscite en ce
début de 21ème siècle de fortes rivalités entres les nations
occidentales et les pays émergents.